Plaisir alimentaire : un moment essentiel de la vie
En maison de retraite, mais aussi dans le cadre de soins plus généralement, l'alimentation est un acte essentiel où le plaisir devient vecteur de stimulations, de relations sociales...
L'auteure, Marine Amphiarus, était Directrice régionale Île-de-France Paris-Grande Couronne au moment de l'écriture de cet article. Elle est aujourd'hui Directrice santé sécurité pour le groupe.
Article extrait du premier numéro de la revue l'Ethique avec vous et pour vous.
Besoins nutritionnels et hédoniques
Pour la personne âgée, l’alimentation est un enjeu prioritaire du « bien vieillir ». Il est donc incontournable de répondre aux besoins nutritionnels et hédoniques. L’avancée dans l’âge conduit à déléguer tout ou partie de l’activité culinaire à un tiers, ce qui complexifie l’accès au plaisir alimentaire. Cependant, ce dernier conditionne notre comportement ingestif puisqu’il induit les apports énergétiques et le choix des macronutriments.
Les apports nutritionnels recommandés (ANR) en énergie sont compris entre 25 et 30 kcal/kg/jour. Les besoins protéiques sont compris entre 1 et 1,2 g/kg/jour et sont supérieurs à ceux des adultes (0,83 g/kg/ jour). Avec l’âge, une résistance anabolique s’installe et la biodisponibilité des acides aminés alimentaires diminue.
Ainsi, la stimulation de la synthèse protéique musculaire par l’apport alimentaire est réduite. Ce phénomène physiologique provoque une sarcopénie (perte de masse musculaire) majoritairement observée chez la personne âgée. Pour adapter l’alimentation aux besoins nutritionnels spécifiques, les menus proposés en maison de retraite suivent les recommandations du Groupe d’étude des marchés de restauration collective et nutrition (GEM-RCN).

Le plaisir alimentaire, qu'est-ce que c'est ?
Le plaisir est un « état de contentement que crée chez quelqu’un la satisfaction d’une tendance, d’un besoin, d’un désir ». Au-delà de cette définition, le plaisir peut être abordé sous différents angles.
- Sur le plan philosophique, Blaise Pascal affirme que « l’homme est né pour le plaisir, il le sent, il n’en faut pas moins de preuves ». Le plaisir est un élément fondamental de l’expérience humaine.
 - Sur le plan physiologique, le plaisir alimentaire est un état de bien-être passager provoqué par l’anticipation ou non de la consommation d’un aliment.
 
Certaines régions du cerveau sont chargées de récompenser l’exécution de fonctions vitales (exemples : manger, boire) par l’apparition d’une sensation de plaisir. C’est ce que l’on appelle le circuit de la récompense. Les informations circulent sous la forme d’influx nerveux. Pour passer de neurone en neurone, l’influx nerveux se transforme en message chimique : le neurone sécrète des substances appelées neurotransmetteurs (dopamine, sérotonine). Une fois libéré dans la synapse, le neurotransmetteur se lie, sur le neurone destinataire du message, à un récepteur qui lui est spécifique. Cette « recapture » élimine donc le neurotransmetteur de la synapse. D’un point de vue pratique, en réponse à un stimulus sensoriel, notre cerveau nous pousse à l’action pour satisfaire un besoin ou un désir (exemple : la faim nous pousse à manger lorsque le taux de glucose diminue dans le sang). Secondairement, cette action est récompensée par une sensation de plaisir. Un sentiment de satisfaction vient mettre un terme à l’action.

Plaisir alimentaire et limites institutionnelles
Au cours d’un débat organisé en décembre 2023 au sein de la maison de retraite Bellevue située à Villiers-le-Bel, résidents, familles, proches et professionnels de santé se sont accordés à évoquer les limites au plaisir alimentaire qu’induit l’institutionnalisation. En effet, en restauration collective, le nombre de convives et la sécurité alimentaire imposent le respect de normes d’hygiène strictes qui empêchent les professionnels de la restauration de proposer une prestation culinaire « comme à la maison ». Au regard de ces contraintes, il paraît incontournable de trouver des alternatives, afin que les personnes bénéficient du plaisir alimentaire.
- Dimension sociale : les repas rythment une journée et représentent un des derniers plaisirs du quotidien. Quel que soit le niveau de dépendance, le plaisir alimentaire est identique. Toutefois, l’appréciation des repas diminue avec la perte d’autonomie. Cette dernière est conditionnée à 20 % par le contenu de l’assiette et à 80 % par l’environnement : dressage de la table, affinité avec les personnes présentes à table, convivialité, atmosphère sereine, relation et communication avec le cuisinier et les serveurs. Les repas partagés sont un rituel important à préserver car la fonction sociale de l’alimentation est indissociable de l’envie de manger. — Dimension temporelle : d’autre part, le plaisir peut également s’exprimer à l’évocation d’un souvenir. L’expression « Madeleine de Proust » qualifie tout phénomène déclencheur d’une impression de réminiscence qui réactive un souvenir à la mémoire de quelqu’un. Par exemple, à l’évocation d’un plat, le sujet active des représentations qu’il a en mémoire (odeur, saveur, partage). Ainsi, pour créer l’appétence, les menus proposés doivent prendre en considération les préférences culinaires. Par conséquent, il convient de favoriser les recettes familières, traditionnelles et régionales, et de travailler sur l’optimisation sensorielle des mets servis.
 - Dimension sensorielle : le vieillissement s’accompagne d’une diminution des capacités sensorielles, en particulier le goût et l’odorat, amplifiée par la prise de certains médicaments. Les seuils de perception des saveurs et des odeurs se trouvent modifiés. Il convient donc d’accroître la flaveur des mets servis en mettant à disposition divers condiments : sel, poivre, piment, herbes aromatiques, citron, gingembre, sauces. Cela permet également de se réapproprier le repas selon sa convenance. Aussi, chez le sujet âgé, le goût sucré revêt une importance particulière en raison du rôle qu’il joue dans le plaisir alimentaire. Enfin, la présentation à l’assiette est également indispensable. En cas d’alimentation mixée, l’utilisation de moules spécifiques (exemples : chou-fleur, cuisse de poulet) est une clé à la stimulation du plaisir alimentaire.
 

L’alimentation ne se limite pas au respect des recommandations nutritionnelles. Il s’agit d’un acte essentiel de la vie. Même si l’institutionnalisation peut constituer un frein, il est nécessaire de garder à l’esprit qu’au fur et à mesure de l’âge, la prise alimentaire doit rester ou redevenir un plaisir, un moyen d’entretenir des relations sociales, d’évoquer un souvenir et de stimuler la sensorialité.
