Reprendre le travail après une rééducation longue
Une rééducation réussie donne parfois le feu vert à un retour au travail. Mais celui-ci dépend-t-il uniquement de la qualité de la rééducation ? Quel est le rôle de l’entourage du patient ? Quelle responsabilité incombe à l’employeur et au manager ? Le patient est-il en capacité d’apprécier lui-même s’il est prêt à réintégrer l’entreprise ou reprendre son activité d’indépendant ? Mise en lumière des conditions, freins et leviers d’une reprise professionnelle réussie avec l’aide de Gabriel Oksenberg, Psychologue clinicien et Psychothérapeute chez emeis.
Éloignement du travail : quelles répercussions psychologiques ?
Dès les débuts de la psychologie moderne, de nombreux penseurs ont souligné l’importance du travail dans la construction et le maintien de la santé mentale.
Sigmund Freud, l’un des fondateurs de la psychologie moderne, affirmait d’ailleurs que la santé psychique pouvait se résumer à la capacité d’aimer et de travailler (« lieben und arbeiten »). Le travail ne serait pas seulement une nécessité économique, mais aussi un facteur de structuration de la personnalité, de valorisation de soi et d’intégration sociale. Pourtant, pour nombre de personnes atteintes de maladies graves ou victimes d’accidents, le passage obligé de la rééducation peut tenir à distance du travail pendant plusieurs mois, voire plusieurs années.

Retour au travail : les éléments qui comptent
Selon le rapport EU-OSHA (2016), "Rehabilitation and return to work: Analysis report" le taux de retour au travail après une longue période de rééducation varie considérablement : entre 22 % et 74 % dans les six premiers mois suivant l’arrêt de travail (phase précoce) ; entre 44 % et 94 % au-delà de six mois (phase tardive). La forte variabilité des chiffres reflète la diversité des situations et des contextes.
La sévérité de la pathologie ou du traumatisme reste le facteur principal, aussi bien à court qu’à long terme. Autres leviers importants favorisant la reprise : l’adaptation du poste de travail, l’accès à des soins de réadaptation, la possibilité d’un temps partiel thérapeutique voire d’un reclassement professionnel. « Le maintien du lien avec l’employeur et l’accompagnement par le médecin du travail ou le service social améliorent significativement les chances de retour à l’emploi dans les meilleures conditions, » ajoute Gabriel Oksenberg.

Reprendre le travail : quel rôle joue notre rapport au travail ?
Les conditions de reprise varient tellement d’un individu à l’autre qu’il est impossible d’avoir une approche commune dans l’appréciation et la gestion du retour en milieu professionnel. Certaines maladies graves comme le cancer, certains traumatismes peuvent retarder, voire empêcher la reprise d’une activité professionnelle. A cela s’ajoute une dimension parfois oubliée : la relation au travail. « La psychodynamique du travail joue un rôle essentiel. Je rencontre des patients qui, au-delà de leurs difficultés somatiques, ont des relations compliquées avec leur environnement de travail. Certains états dépressifs (burn outs) peuvent être directement liés à l’activité. » Gabriel Oksenberg en tire une conclusion : celle de ne surtout pas se conformer à un stéréotype du « bon » retour au travail. La condition essentielle qui pourrait être commune à tous les patients confrontés à une reprise du travail après un arrêt long est avant tout « leur capacité à écouter leur propre souffrance. Eux-seuls savent s’ils sont prêts ou pas. »

Reprendre le travail, c’est réfléchir, se repositionner, avancer
Gabriel Oksenberg a pu observer la difficulté des personnes à s’affranchir du regard social. La reprise du travail est parfois motivée par la peur du jugement et l’envie de se faire bien voir. Certains chiffres peuvent légitimer la peur de perdre son emploi. Dans le secteur privé, l’employeur a l’obligation de proposer un reclassement pour le salarié déclaré inapte après un arrêt long. Mais en pratique, le taux de reclassement effectif reste faible. Selon diverses études[1], il oscillerait entre 20 % et 30 %. Dans la majorité des cas, la solution du licenciement est choisie faute de poste adapté ou en cas de refus du salarié. « Le risque est d’interpréter les premiers signes d’amélioration comme autant de signaux verts à la reprise ». Derrière cet empressement, il y a parfois une réelle envie de reprendre. C’est le cas des personnes qui aiment leur travail et y trouvent une source d’épanouissement. Chez d’autres, c’est le sentiment de culpabilité qui prédomine. Il convient donc de prendre le temps de sonder ses motivations profondes pour ne pas se laisser emporter par des décisions que l’on risque de regretter par la suite.

Le rôle thérapeutique du travail dans la rééducation
« Le cas classique est celui de l’avocat, ce sont des patients qui ne se déconnectent pas et continuent de travailler. Ils se sont organisés en plaçant le travail au centre de leur vie. Le travail agit sur eux comme une thérapie. Ce surinvestissement dans le travail pendant leur rééducation leur permet de ne pas s'effondrer psychiquement parce qu'ils se sentent toujours utiles. » Un constat s’impose : d’une part cette rééducation par le travail ne concerne pas les professions manuelles. D’autre part, elle n’est possible que dans le cas où le patient dispose pleinement de ses capacités intellectuelles. Une fois la rééducation en milieu hospitalier ou en clinique terminé, une autre forme de rééducation prend la relève : celle par le travail. La responsabilité de l’entreprise est de préparer le retour du salarié et d’accompagner la reprise du travail, main dans la main avec la médecine du travail. Par ailleurs, pour que le retour du patient soit le plus réussi possible, le manager veillera à communiquer avec l’équipe pour libérer la parole. « En invitant l’équipe à exprimer ses craintes, ses doutes, ses ressentiments relatifs à une absence prolongée d’un collègue et une éventuelle surcharge de travail, le manager participe à lever les fantasmes et mettre fin aux rumeurs, »précise Gabriel Oksenberg. Tout le monde y gagne et les tensions s’apaisent.

Prendre soin du patient… et de ses proches
« Chez emeis, nous avons un rôle à jouer dans la continuité des soins. Lorsque nous estimons que le patient, après son passage chez nous, nécessite une prise en charge plus longue, nous pouvons l’adresser à un psychologue ou un centre médico psychologique pour assurer une continuité dans l’accompagnement, en même temps que la reprise du travail ». Les moments difficiles traversés, les séquelles physiques et psychologiques, peuvent affecter l’estime de soi. Chez certaines personnes, la reprise du travail agit comme une thérapie positive et le retour se fait facilement. Pour d’autres c’est beaucoup plus compliqué. Cela dépend de l’histoire de vie de chacun, de son parcours psychologique : « Des personnes qui ont déjà fait des dépressions sont plus fragilisées, plus vulnérables. Elles vont avoir tendance à se replier sur elles-mêmes, et développer une nouvelle dépression ». Et Gabriel Oksenberg ajoute : « Il faut toujours légitimer la souffrance de l'autre et l'accueillir. Cela concerne l’entourage privé et professionnel. Il n’est pas rare que les proches soient eux-aussi accompagnés dans cette acceptation de la souffrance, y compris la leur. Eux aussi sont exposés au bouleversement. Un père qui revient à la maison amputé de la jambe et c’est toute la dynamique familiale qui se trouve en déséquilibre. »
La préparation au retour au travail après une longue rééducation constitue donc une étape clé du parcours de soin. Appréhendée de manière individualisée elle prend en compte l’aspect médical, l’état psychologique du patient et le contexte professionnel. La réussite de la reprise d’une activité professionnelle ne dépend pas que du patient. Elle mobilise un ensemble d’acteurs – corps médical, employeur, entourage – qui, ensemble et par le dialogue, favoriseront une reprise à la fois durable et adaptée.
